Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par Gustave Caillebotte. Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
Julie née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
Marie Bracquemond et
Mary Cassatt.En 1876, à la
deuxième exposition du groupe, à la galerie Durand-Ruel,
rue Le Peletier, Berthe Morisot expose
Jeune fille au bal, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
Le Psyché huile sur toile 65 × 54 cm,
musée Thyssen-Bornemisza,
Madrid (ancienne collection Thyssen-Bornemisza de
Lugano).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
Mary Cassatt, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
Mallarmé qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
Rêveuse, pastel sur toile, 50,2 × 61 cm,
Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, Missouri, où dans :
La Toilette (Jeune femme de dos à sa toilette), huile sur toile 60 × 80 cm, 1875,
Art Institute of Chicago[note 3].Les œuvres présentées en
1877 lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
Théodore Duret qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
Jours d'été, huile sur toile 46 × 75 cm, 1879,
National Gallery,
Londres,
Hiver, 1880, huile sur toile 73,5 × 58,5 cm7,
Dallas Museum of Art. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
Jeune fille de dos à la toilette de Morisot qui répondait à
Devant la glace de Manet,
Jour d'été (le lac du Bois de Boulogne) de Morisot qui répond à
En bateau de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
inachevées.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
Charles Ephrussi : « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
révolutionnaires.De
Nice, elle ramène
Le Port de Nice huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
Plage à Nice 1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
Bougival est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
Le Jardin (1882-1883) huile sur toile, 99,1 × 127 cm,
Sara Lee Corporation est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
Le Quai de Bougival 1883
Nasjonalgalleriet Oslo,
Eugène Manet et sa fille dans le jardin.De la peinture de Berthe Morisot,
Gustave Geffroy dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Dernières années
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce,
Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
Le Lever.En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à
Bruxelles avec un groupe d'artistes d'avant-garde : le
Groupe des XX où
Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm,
Ordrupgaard museum de Copenhague;
Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière,
le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière,
Dans la salle à manger (1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
Intérieur à Jersey (1886, huile sur toile, 50 × 60 cm,
musée d'Ixelles).Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au
fusain, à l'aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux :
Jeune femme aux épaules nues (1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée) ;
Femme s'essuyant (pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée,
Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
La Mandoline (1889, huile sur toile 55 × 57 cm) ou
Sous l'oranger (1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
Mézy au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
Printemps de Botticelli, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
Le Cerisier", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur
le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet :
Julie rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et
Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
Stéphane Mallarmé devint le tuteur de
Julie Manet.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
Adolphe Goupil n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
Théo van Gogh.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
Gustave Geffroy de
La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
Jeune femme en toilette de bal pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
[réf. nécessaire]. Elle mourut le
2 mars 1895 au
10, rue Weber à
Paris à 10 heures du soir, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes :
Degas,
Monet,
Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
Henri Rouart,
Ernest Rouart.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
Paul Valéry, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
Édouard Vuillard. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
Reconnaissance
Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896,
Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
Julie Manet organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
rectrice du
Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
National Gallery of Art, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
réhabilitation de Berthe Morisot. Le
Palais des Beaux-Arts de Lille et la
Fondation Gianadda de
Martigny accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
musée Marmottan lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
Musée Jacquemart-André en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
Lausanne en 1997 et le musée de
Lodève en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
Musée national des beaux-arts du Québec,
Fondation Barnes et
Musée d'Art de Dallas) et parisienne (
Musée d'Orsay) est organisée.
Chaumière en Normandie et l'affaire Wildenstein
C'est au cours d'une perquisition, au siège de l'
Institut Wildenstein, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
père et
fils sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
Chaumière en Normandie,
1865, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
meubles meublants, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
Chaumière en Normandie avait été déclaré
collection privée sur le catalogue - qui faisait autorité absolue[note 6] - de
Daniel Wildenstein. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
Académie des beaux-arts, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
Guy Wildenstein de ce dernier, étant censés
protéger la collection dans les coffres de l'
Institut Wildenstein.C'est seulement en 2011, que la
Chaumière en Normandie est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
collection privée sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
Académie des beaux-arts et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
Manet. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
musée Marmottan-Monet héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
Œuvres
Sélection d'œuvres
Cette sélection est issue de celle de l'ouvrage
Berthe Morisot de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
Georges Wildenstein en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
Ports.
Des débuts à l'engagement impressionniste (1864-1874)
Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme leur père, dont on sait seulement qu'il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu'il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.
Formation
Au début des années 1850, Edme Tiburce Morisot, démis de ses fonctions par le nouveau régime impérial, s'installe avec sa famille à
Passy près de Paris et intègre, dans la capitale, d'abord le Crédit foncier, puis en 1855, la
Cour des comptes. Berthe et ses sœurs reçoivent une instruction soignée dans des établissements parisiens très réputés : le
Cours Lévi et plus tard celui ouvert en 1853
rue de Verneuil par Mlle Adeline Desir. Leur mère leur fait également donner des leçons de piano.La mère des sœurs Morisot leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l'architecture et était amateur d'art. Selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l'enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l'
École des beaux-arts n'était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur,
Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l'enseignement. C'est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».Cependant, après avoir rencontré les
copistes au
Louvre, notamment
Fantin-Latour qui s'enthousiasmait pour
Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au
paysagiste Achille Oudinot qui les confia à son tour à son ami
Corot.La famille Morisot loua une maison à
Ville-d'Avray, pendant l'été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien
rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d'enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.
Premières expositions
En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l'histoire de l'art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de
Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d'artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale que l'empereur ouvrit un autre Salon : le
Salon des refusés.Cette agitation n'empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de
Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l'Oise, près d'
Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à
Charles-François Daubigny,
Honoré Daumier et
Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec
Souvenir des bords de l'Oise et
Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de
Corot. Deux critiques d'art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l'influence de Corot, mais on leur accorda peu d'attention.L'année suivante, l'envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par
Paul Mantz, critique d'art à la
Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu'il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu'elle montrera plus d'audace dans son style,. Il est vrai que jusqu'en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme
La Brémondière, scène de rivière aujourd'hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d'œuvre
Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d'arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d'une chaumière.Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré
Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d'
Edgar Degas) où étaient présents
Charles Baudelaire,
Emmanuel Chabrier,
Charles Cros,
James Tissot,
Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d'avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d'elle) que Degas avait été amoureux d'Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l'admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait
Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du
baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand
Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s'inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d'épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d'un bras pendant la
campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la
rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l'année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d'Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf
Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent, cette année-là, les œuvres de Berthe et d'Edma Morisot. À cette époque, le mépris pour les femmes peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à
Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux. »Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière ; en 1869, elle rapporta d'une visite à sa sœur une
Vue du petit port de Lorient,
National Gallery of Art.
L'encombrant ami Manet
De Lorient, en 1869, Berthe Morisot rapporta une toile représentant Edma Morisot, intitulée
Jeune femme à sa fenêtre (Madame Pontillon),
National Gallery of Art. Berthe Morisot adoptait là un style qui rappelait une scène de genre d'
Alfred Stevens, tout en faisant preuve d'une bien plus grande liberté. Manet venait alors de commencer une toile semblable de plus grand format, et il éprouvait les plus grandes difficultés à traiter le visage de son modèle
Eva Gonzalès, qui s'était également mise en tête de devenir son élève : Manet s'y reprit trente fois. Frustré, il s'acharnait sur le petit portrait d'Edma souhaitant que Berthe le retravaillât. Mais il en faisait les plus grands éloges. Le tableau fut d'ailleurs admis au salon de 1870 en même temps qu'un autre tableau de Berthe Morisot, de plus grand format, représentant Madame Morisot-mère et Edma, intitulé
Madame Morisot et sa fille, Madame Pontillon, également intitulé
La Lecture, National Gallery of Art. Manet était intervenu à outrance sur ce tableau, ce qui déplut à Mme Morisot mère, laquelle écrivit le 20 mars 1870 : « Pour mon compte, je trouvais atroces les améliorations que Manet avait fait subir à ma tête. Le voyant dans cet état, Berthe me disait qu'elle préférait le voir au fond de la rivière plutôt que d'apprendre qu'il était reçu. » Berthe Morisot n'appréciait pas les interventions du peintre sur cette toile et elle la retoucha discrètement avant de l'envoyer au salon. Il semble que les critiques aient été au courant des interventions excessives de Manet, raison pour laquelle ils gardèrent sur cette œuvre un silence discret, ce qui irrita Manet. Berthe Morisot ne lui tint pas rigueur de cet épisode et leur amitié resta intacte. Manet avait une tendance à « s'approprier » Berthe Morisot, qu'il avait déjà fait poser pour son tableau
Le Balcon et qu'il choisit souvent comme modèle, notamment juste après ses fiançailles avec
Eugène Manet et juste après leur mariage (le 22 décembre 1874 à 9 h du matin à la Mairie du 16e,).Le
19 juillet 1870, éclatait la
guerre entre la France et la
Prusse. Les frères Manet[note 1], Degas,
Félix Bracquemond et d'autres artistes étaient engagés dans la
Garde nationale. Berthe Morisot accepta de partir pour
Saint-Germain-en-Laye avec sa mère, mais après avoir rejoint Edma à Cherbourg où elle peignit, elle refusa de quitter la France et revint à Paris quelques mois plus tard alors que les combats s'intensifiaient autour de Paris et que la santé de la jeune fille était mise à rude épreuve. Berthe Morisot cessa de peindre pendant un temps. De Cherbourg, elle avait rapporté
Le Port de Cherbourg, 1871, collection particulière,
Femme et enfant assis dans un pré, 1871,
Au Bord de la forêt, 1871.
Évolution de la femme-peintre
Influence et échanges Morisot-Manet
Il y eut ensuite un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon (collection particulière). Yves est de profil et l'enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l'artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l'enfant a également le dos tourné. L'année suivante Manet reprit la silhouette de l'enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art, mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du
Balcon de Manet.Berthe Morisot aimait tant son tableau qu'elle en fit une copie à l'aquarelle (
Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile
Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l'enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d'être refusé au Salon de 1872.La même année, Berthe Morisot réalisa
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro (
Santa Barbara Museum of Art,
Californie). Mais elle n'était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (...) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l'
exposition universelle de 1867 :
Vue de l'exposition universelle de 1867,
Nasjonalgalleriet,
OsloL'atelier de Berthe Morisot à
Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n'arrivait plus à travailler. De cette période date
Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.Au début de l'année 1872, par l'intermédiaire d'
Alfred Stevens, le marchand
Paul Durand-Ruel vint dans l'atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à
Durand-Ruel qui acheta :
L'Entrée du port de Cherbourg,
musée Léon-Alègre,
Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont
La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872,
National Gallery of Art, puis en 1873,
Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu'il revendit à un prix respectable à
Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.Peu à peu, Berthe Morisot allait s'écarter des couleurs sombres de
Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.
Maîtrise de l'art
La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu'elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile
Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna
Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de
La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de
Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du
Berceau, 1872,
Musée d'Orsay envoyé au salon de 1872.
Le Berceau marque une étape dans l'évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »C'est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s'installer dans la propriété de sa sœur à
Maurecourt au bord de l'Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l'on peut rapprocher de celui de la
fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage.
La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d'Orsay,
Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l'expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme :
Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm,
Brooklyn Museum,
Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm,
musée du Petit Palais, Paris,
Sur la plage, 1873,
Musée des beaux-arts de Virginie,
Richmond (Virginie).À l'été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à
Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là,
Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l'épousait à la Mairie puis à l'église de Notre-Dame-de-Grâce de
Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits,
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail (
palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l'éventail est replié. L'autre portrait est intitulé
Berthe Morisot à l'éventail, musée d'Orsay présente l'artiste le visage caché derrière son éventail.
Engagement impressionniste
Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s'étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n'eut qu'un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé,. Mais déjà, un groupe d'artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d'organiser une coopérative :
La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père[note 2]. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l'un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « ...prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d'énormes concessions ». Les discussions étaient vives.La
Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les
Salons Nadar, 35
boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme. Une semaine avant l'ouverture de l'exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n'arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s'était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu'elle envoya chez Nadar, il y avait :
Le Berceau (musée d'Orsay),
Le Port de Cherbourg,
la Lecture,
Cache-cache, parmi les pastels :
Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas,
Le Village de Maurecourt,
Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre,. D'après le catalogue de l'exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans
Le Charivari signée
Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d'un des tableaux de Monet
Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « ... Mais l'impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l'impression ou je ne m'y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c'est qu'il y a de l'impression là-dedans. »Eugène soutenait déjà Berthe à l'été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l'accusant de se donner en spectacle. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu'elle avait choisie. Elle s'affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n'était pas terminé :
Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu'autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à
Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.Ce fut un scandale.
Renoir racontait qu'un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de
prostituée et que
Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre,. La police fut appelée en renfort.Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal
Le Figaro dénonçait les tendances
révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée
Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d'aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. » Eugène Manet avait l'intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.Des œuvres de cette époque s'appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que
Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis :
Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d'être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau :
Eugène Manet à l'île de Wight, Musée Marmottan-Monet.Morisot, désormais plus sûre d'elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l'encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n'en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel
Femme à sa toilette, scène d'intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d'art,
Arthur Baignières surtout, commentaient l'évolution de son style en regrettant qu'elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l'extrême et nous le regrettons d'autant plus qu'elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l'île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu'elle peut peindre jusqu'au mouvement de chaque chose inanimée,. »
Figure de proue impressionniste
Les expositions de ceux que Wolff qualifie « d'aliénés » se poursuivent jusqu'en 1886, avec beaucoup de difficultés, mais beaucoup d'enthousiasme. Il y en eut huit, la troisième financée par . Berthe Morisot participe à toutes sauf à la quatrième (1879), car elle a fort à faire avec sa fille
née le 14 novembre 1878. Les femmes peintres sont brillamment représentées cette année-là par
, une huile sur toile, 86 × 55 cm, musée d'Orsay. Ainsi que
).Elle est en passe de devenir une des figures de proue du groupe impressionniste, en même temps que l'américaine
, venue vivre à Paris en 1874. Mais la critique conventionnelle s'offusque de sa peinture « féminine », sauf
qui lui apporte un soutien enthousiaste.Toutefois, les tableaux de Morisot intéressent moins les critiques d'art que ceux de Renoir, de Caillebotte, ou de Monet. Ils parlent surtout de « […] ses exquises harmonies blanches et argentées » que l'on trouve dans
lui valent les compliments relatifs de Paul Mantz : « Il n'y a, dans tout le groupe révolutionnaire, qu'une impressionniste, c'est Madame Berthe Morisot », et ceux de
qui classait la jeune femme dans « Le groupe primordial des impressionnistes ».En 1880, lors de la 5e exposition, Morisot présente :
. Pendant cette période, les toiles de Morisot engagent un dialogue avec Manet.
de Manet. Les critiques trouvent les toiles de l'un et de l'autre
.Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l'histoire de l'art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d'un mouvement d'avant-garde.Morisot fait preuve d'encore plus d'audace que les années précédentes, ce qui indigne deux critiques qui l'avaient appréciée jusque-là : Paul Mantz et
: « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d'estomper des formes déjà imprécises. Elle ne fait que des débuts de débuts ; le résultat est curieux, mais de plus en plus métaphysique. Il faut évidemment des talents de coloristes pour tirer du néant cette délicatesse. » Charles Ephrussi est scandalisé par les pastels : « Un pas de plus et distinguer ou comprendre quoi que ce soit deviendra impossible. »À partir de 1880, Berthe Morisot et sa famille passent tous leurs étés dans une maison de campagne de Bougival, et, à partir de 1881, ils résident plusieurs hivers à Nice. Ces deux lieux inspirent à Berthe Morisot un grand nombre de toiles qu'elle présente aux dernières expositions
huile sur toile en deux versions et deux formats et collection particulière, et une troisième format 38 × 46 Dallas Museum of Art;
1881-1882, aquarelle sur papier 42 × 55 cm, Nationalmuseum Stockholm.
est une source d'inspiration encore plus importante. Son tableau le plus ambitieux
est sans doute exposé à Londres par Durand-Ruel. Morisot réalise encore
dit :« Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. »
Vers 1886-1887, Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu'elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l'encouragèrent à exposer chez
chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d'affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et
(1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa
et Pissarro exposaient aussi. L'envoi de Berthe Morisot comprenait
(1875 ou 1885-1886 selon les biographies, huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art),
(pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée). Par la suite, elle s'attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans
, 1893. Elle avait le projet d'en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles
(1889, huile sur toile, 54 × 65 cm).Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à
au nord-ouest de Paris. Elle constatait que la santé d'Eugène qui souffrait d'une forme pulmonaire de la syphilis n'était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu'elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l'esprit du
, commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile
", 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d'études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de
1894, 65 × 54 cm, collection privée.La santé d'Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892.
.Berthe Morisot avait décliné l'invitation du Groupe des Vingt pour l'exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l'avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par
n'était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu'elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s'ouvrir aux impressionnistes que sous l'influence éphémère de
.L'exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême.
lui consacra des pages très élogieuses. L'année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894 Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard :
(1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l'impressionnisme, on s'aperçut qu'il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l'État français acquit pour le musée du Luxembourg
pour que l'une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.
Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892(?) au 40, rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer
. Elle mourut le
. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au
où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d'Eugène Manet ».La mort de l'artiste n'entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; elle fut au contraire l'occasion d'échanges entre les membres en rappelant la cohésion ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, Julie, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas maria Julie en 1900 au fils d'
.Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille
organisèrent une rétrospective de ses œuvres d'environ trois cents à quatre cents toiles[note 4]
, qui épousa sa nièce, Jeanne Gobillard, écrivit un essai sur Berthe Morisot en 1926 et le dédicaça à
. Il dira plus tard « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d'observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. »
organisent une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures qui compte plus de quatre cents pièces.En 1983, Elizabeth Kennan,
et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la
, qui admirent la peinture de Berthe Morisot, décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d'organiser une grande rétrospective des œuvres de l'artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains. Par ailleurs, les quatre principaux mécènes du
ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot,[note 5]. Ils ont été les pionniers d'une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme[réf. nécessaire]. Depuis quelques années, on constate une forme de
de Berthe Morisot. Le
accueillent en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le
lui consacre une rétrospective de mars à août 2012 : c'est la première rétrospective qu'on lui accorde à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du
en 1961). D'autres expositions monographiques, de moindre importance, mettent en valeur l'artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à
en 2006. En 2018-2019, une grande tournée nord-américaine (
) est organisée.
, diligentée en marge d'une des multiples affaires de détournement dont les Wildenstein
sont accusés, que les inspecteurs de la brigade financière découvrent, les 11 et 12 janvier 2011 la toile de Berthe Morisot intitulée
, huile sur toile 46 × 55 cm.Lors de l'inventaire de la succession, les académiciens Daulte et Wildenstein avaient décroché les tableaux ornant les murs de l'appartement d'Anne-Marie Rouart et les avaient étalés sur le sol pour qu'ils ne soient pas considérés comme
, et ne soient pas rendus à l'héritier légitime, Yves Rouart.À la suite de cette manœuvre de spoliation, orchestrée par les exécuteurs testamentaires de la succession d'Anne-Marie Rouart, cette toile avait été détournée au détriment de son neveu, Yves Rouart.
. Parmi les pièces majeures provenant de la succession d'Anne-Marie Rouart, il y a une très belle collection d'œuvres de Berthe Morisot. Les autres œuvres comprenaient des Gauguin, Degas, et des Manet.Selon le testament de madame Rouart, la plus grande partie de cette énorme collection allait à l'
, et une autre à Yves Rouart, petit-fils de Julie Manet. Ce dernier n'avait jusque-là jamais pu obtenir que quelques œuvres mineures répertoriées par les exécuteurs testamentaires ; ces derniers, Jean-François Daulte, Daniel Wildenstein et le fils
est enfin réapparue et qu'Yves Rouart a pu lancer une procédure pour l'obtenir. Cette toile avait été inscrite au catalogue Wildenstein sous l'intitulé vague
sans mention du nom de sa propriétaire d'origine, ni du lieu d'où elle avait été décrochée, ni de celui de son héritier en droit.Yves Rouart qui avait dans un premier temps assigné l'
et signé en 2000 un protocole d'accord révisable avec les exécuteurs testamentaires, a contesté ce protocole,. « S'il s'avère que la très belle collection de Morisot doit être retirée du musée Marmottan, ce serait une grande perte pour le public et pour l'État français ». La collection d'Anne-Marie Rouart comprenait en outre le célèbre portrait de Berthe Morisot par
. Il devait être vendu pour payer la succession par les exécuteurs testamentaires. L'État français s'est opposé à la vente de cette œuvre à l'étranger et l'a rachetée pour plusieurs millions d'euros. C'est aujourd'hui une des pièces maîtresses du musée d'Orsay.En 2013, le
héberge encore environ 80 tableaux de Berthe Morisot.
de Charles F. Stuckey[note 7], William P. Scott, et Suzanne G. Lindsay[note 8], elle-même issue du catalogue raisonné établi par Marie-Louise Bataille, Denis Rouart, et
en 1961. Il y a des variations entre les dates d'exécution des œuvres, les dates de leur exposition, ou les dates d'achat des œuvres de Berthe Morisot, et des confusions entre les titres notamment les
.
Liste non exhaustive. Les sources indiquées donnent accès à la visualisation des œuvres. Les lieux sont classés par ordres alphabétiques (pays puis ville et noms).
Avec plus de vingt-cinq musées rassemblant une cinquantaine de peintures et aquarelles, les États-Unis sont le pays où la présence des œuvres de Berthe Morisot est la plus importante.